W comme Wonderful

A Noël, on fait des cadeaux et on en reçoit. Le mien est arrivé un peu en avance et date du 5 décembre 2016.

J’ai pu offrir Plus long le chat dans la brume à Walter Murch lors de sa venue en France à la cinémathèque (une grande chance pour moi ! il lit très bien le français !). Aussi quelques jours plus tard, j’ai reçu une longue lettre qui m’a à la fois beaucoup touchée et beaucoup émue.

Beaucoup. Beaucoup.

Beaucoup.

En guise de partage de cette grande joie, je vous en propose quelques extraits.

1/

capture-decran-2016-12-19-a-23-22-02

2/capture-decran-2016-12-19-a-23-22-10

3/capture-decran-2016-12-19-a-23-00-33

4/capture-decran-2016-12-19-a-23-29-11capture-decran-2016-12-19-a-23-30-01capture-decran-2016-12-19-a-23-30-24

Cher Walter Murch,

un immense merci de m’avoir écrit.

C’est un si grand plaisir de vous lire !

 

Rêver un film pour mieux le penser

« La Philosophie oublie souvent
Qu’avant les pensées, il y’a les songes.
Avant les idées claires et stables,
Il y’a les images qui brillent et qui pensent.

Pris dans son intégralité,
L’Homme est un être qui non seulement pense,
Mais qui d’abord l’imagine.
Un être qui est éveillé,
Mais assailli par la ronde d’images précises
Dès qu’il est endormi,
Rêve de pénombre où se meuvent des formes inachevée,
Des formes qui se déplacent sombres,
Des formes qui se déforment sans fin.

Nous sommes des dormeurs éveillés,
Des rêveurs lucides.

Il suffit d’un peu de solitude,
Afin que nous tombions dans une rêverie qui rejoint les songes de la nuit.

Nous sommes des dormeurs éveillés,
Des rêveurs lucides. »

D’après un discours de Gaston Bachelard

Les films ne naissent pas libres et égaux 

« 1- les films ne naissent pas de nulle part, il y a une corrélation entre la cinématographie et l’époque où une production prend corps et le type de réalisation (de création) possible. 2- La rencontre entre un film et son public ne dépend pas que du film, mais d’éléments à la fois culturels et économiques (la réception des films est en grande partie déterminée par des critères extérieurs au film). »

Frédéric Sojcher dans La direction de spectateurs. Page 80. Dir. Dominique Chateau. 

« Ouvrir le film, puis décoller, voler et atterrir »

« Pour Vanda, c’était un peu plus compliqué. Avec Dominique Auvray, qui a monté le film, on a passé un an à chercher comment on allait démarrer, ouvrir le film, puis décoller, voler et atterrir. Je ne sais plus qui disait que voler ça va encore, mais décoller et atterrir, c’est difficile. On n’avait pas les habituelles scènes d’exposition, les présentation des personnages. Cela a été très difficile à trouver. Mais, comme dit Danièle dans Où gît ?, « il faut trouver. Les plans sont comme des pierres. Si on fait un mur, il faut chercher et trouver la place juste des pierres pour que ça ne tombe pas. Il y a une façon et une seule pour faire tenir ce mur. » »

Pedro Costa. Petite camera. Grand film. Le travaile du cinéma volume 1 de Dominique VILLAIN. 

Partager ce(ux) qu’on aime

Quel plaisir de faire découvrir à chaque cours aux étudiants un extrait de film documentaire avec pour seul critère : j’ai aimé. Je re-découvre moi-même la fabuleuse diversité et richesse du cinéma documentaire.

Nous passons des gants de boxe du Boxing gym à la délicatesse des caresses de Bresson, traversant le chapiteau de Spartacus et Cassendra.  Nous nous arrêtons pour contempler les Bovines – tu as beaux yeux tu sais !, et nous explorons Le droit au baiser et le Faits divers. Nous errons Sans soleil au Pays des sourds. Nous sommes Les glaneurs et la glaneuse, récitant notre Mare Mater. Certains me demande encore ce qu’est le C.O.D et le coquelicot. Heureusement c’est bientôt la Récréation. La Lame de fond nous fait dérriver jusqu’à la Clé de la chambre à lessive. Nous avons même terminé avec un Karaoke domestique !

Les thématiques d’écriture et de montage émergent naturellement. Début du film. Récit intime. Figure de style. Liberté. Longueur de plans. Cinéma d’observation. Ethnologie. Sensorialité. Animation. Forme d’écriture. Personnage. Mise en scène.

First and Final Frames

Le premier plan d’un film et le dernier plan d’un film… un vaste sujet de montage.

Comment ouvrir ? Comment fermer ?

A quel moment on trouve le début ? A quel moment on trouve la fin ?

Et qu’est-ce qui se passe entre ces deux plans ?? Un film…

Il y a ce qui a été filmé, pensé, imaginé, et il y a l’impact qu’on souhaite.

A l’entrée pour emmener, attraper, faire plonger dans l’univers… à la sortie pour émouvoir, boucler, ou ouvrir !

C’est souvent qu’on intérroge l’écho entre ces deux extrémités du film quand on monte. Ce sont aussi des plans qu’on cherche, qu’on guette, qu’on pose comme des pilliers.

C’est pourquoi j’aime l’idée de cette vidéo qui a rassemblé les premiers et derniers plans de nombreux films :

Derushage, une méthode ?

Extrait de la soirée « Rencontre avec la matière » à la Fémis avec Les Monteurs Associés.

Yannick Kergoat : Quand on regarde un rush, on cherche quelque chose. Regarder c’est chercher. Donc la question est : Qu’est ce qu’on cherche ? On a lu le scénario, et instinctivement on mesure l’écart entre ce qu’on a lu et le tournage. Et souvent, à cette première vision, c’est décevant. J’essaie donc de regarder en oubliant que j’ai lu le scénario. Ensuite, bien sûr, quand on monte, c’est différent.

Laure Gardette : Je n’ai pas de méthode, elle change à chaque film et s’adapte à chaque réalisateur. Par exemple avec un réalisateur en particulier, je ne regarde pas les rushes tout de suite. Mon assistant fait un premier montage des séquences. Je regarde son montage, puis seulement après, je regarde les rushes. Et je trouve cette façon de faire très profitable aux films de ce réalisateur. Cette «méthode» est venue par la confiance du réalisateur envers mon assistant et envers moi. Etant donné qu’avec ce réalisateur, on monte pendant le tournage, on lui envoie des montages tous les jours. Lorsque je regarde les premiers montages de mon assistant, je sens tout de suite les points forts et les faiblesses. C’est seulement après que je découvre les rushes, forte de l’impression que m’a donné le visionnage de ces premiers montages et donc je vois très vite où il faut que j’aille (ça m’aide à prendre des directions, des partis pris qui bien évidemment peuvent être complètement remis en question par la suite). C’est très intéressant. Et j’ai des discussions avec mon assistant au sujet de ce qu’il a construit, de ses choix et aussi à propos des personnages, de la narration qui se met petit à petit en place etc. Encore une fois, cela fonctionne dans un cas précis. Je ne prétends pas que cela marcherait pour tous les films.

Mathilde Grosjean : En fiction souvent je regarde dans l’ordre, mais j’ai tout le temps besoin de revenir à la première et la deuxième prise parce que justement je me méfie de ma première réaction émotionnelle. Je ne veux pas rester sur cette impression du cadre, de la différence entre le scénario et les rushes, j’ai absolument besoin de revoir les premières prises que j’ai vues. Je regarde la prise 1, 2, 3, 4, etc puis à nouveau la 1 voire la 2. Pour le documentaire, il ne se passe pas la même chose. On regarde rarement d’emblée plusieurs fois le même plan, on y revient plus tard… En documentaire, je regarde tous les rushes avant de pouvoir commencer à monter et à structurer le film. »

Processus ?

Yannick Kergoat : Pour moi, chaque aspect de notre activité au montage s’exprime sous forme dialectique. Dans les rushes, on cherche des lignes, une continuité, ou des continuités, dans une matière qui est complètement chaotique et fragmentée et discontinue – et pas simplement parce qu’elle est découpée. Il y a une tension entre la fragmentation du découpage et la continuité du film. On est en permanence en train d’essayer de concilier des tensions.

On cherche à voir et en même temps on cherche à projeter le regard de quelqu’un d’autre ?
Il va falloir que ce soit quelqu’un d’autre qui regarde à un moment donné. Ce regard-là, c’est une sorte de regard universel. Qu’est-ce que ça veut dire de regarder 10 fois, 15 fois une scène et de s’obliger quand même à la regarder pour la première fois ? On est toujours dans cette tension-là. Dans cette dialectique.

Le dérushage, c’est aussi un processus. Plus on avance dans le dérushage, plus les directions d’interprétations et de mise en scène émergent. Ensuite évidemment, on ne regarde pas les rushes de la première et la dernière scène avec le même questionnement C’est génératif un montage. Un plan, une interprétation, appelle la suivante et ainsi de suite.

Je cherche à tirer des lignes, à savoir où le film va passer. Combien vais-je pouvoir en tirer ? Si elles sont solides, puissantes, jusqu’où peuvent-elles aller ? Cette question des lignes est essentielle pour moi. Je vais aussi chercher ce qui est caché.

Laure Gardette : Moi, j’ai l’impression d’être devant les rushes comme devant un animal sauvage. Et je me dis: «il va falloir l’apprivoiser». Je me bats avec cette matière et puis je sens, à un moment donné dans le processus du travail de montage que cet animal sauvage finit par me répondre et m’obéir quelque peu. C’est comme si tout à coup le dressage de cette matière opérait. N’oublions pas que l’on travaille cette matière selon deux niveaux, deux axes : dans un premier temps, l’axe est très linéaire, on travaille cette matière pour construire les séquences elles-mêmes. Par la suite, l’approche de la matière devient plus «tabulaire» que

linéaire. En effet, on met en perspective les choses et on interroge cette matière dans un cadre plus global (celui du film tout entier), on ordonne cette matière, on la sculpte en fonction du tout.

Dérusher est une étape délicate et compliquée surtout quand pendant le tournage d’un film. Il faut alors discuter de la matière avec les réalisateurs et les producteurs. Il s’agit par exemple de tirer la sonnette d’alarme pour demander des retournages ou des plans manquants à des séquences. En tout cas, réalisateurs et producteurs nous attendent sur nos perceptions positives ou négatives des rushes que l’on reçoit pendant le tournage du film.

Nicolas Sburlati : On interroge le champ des possibles. On regarde des bouts, on essaye de construire une dramaturgie, on essaye de donner un sens à ce qu’on essaye de voir. Et en même temps on peut regarder des détails, sans être encore pris dans une histoire, dans une globalité. J’ai l’impression de voir des nuances de jeu qu’après je ne vois plus et grâce à une petite note, je peux les retrouver plus tard.

Damien Maestraggi : Ce moment entre le visionnage des rushes et les premières versions du montage, c’est aussi un moment où on peut se permettre des choses, être très audacieux, avant d’organiser les projections où les gens viendront donner leur avis. Après il faudra revenir à des choses plus normales, plus acceptables. C’est un moment excitant, celui où il faut comprendre des choses.

Et finalement, le plus important c’est ce sont les acteurs. Il faut trouver ce que les acteurs sont en train de faire. Voir ce qu’ils inventent, ce qu’ils proposent… Parfois les acteurs s’améliorent au fil du tournage. Comment l’acteur s’est approprié les plans ? C’est lui qui va me dire au fond comment je dois penser telle scène. La question de l’acteur c’est quand même la question principale des rushes.

Lien vers la transcription complète de la soirée.

« Le montage est un ectoplasme »

« Le paysage cinématographique n’a plus grand chose à voir avec le paysage original, avec sa réalité commune, naturelle et sociale.

Le cinéma est un art de la découpe. Le cinéma découpe des paysages à la hache. Exsangues, les paysages y perdent naturellement leur physionomie première et tout leur tremblement au tranchant des plans du cinéma et de leur extraction.

D’extérieur, la paysage ainsi découpé, filmé, monté, devient intérieur.

Le paysage cinématographique, sous ses dehors, ne parlerait ainsi plus tant de la France, par exemple, que de son intériorité, désormais : l’intériorité de la France, qui est rendue là visible par ce prodige qu’est la transfiguration du cinéma.

(Le montage est un ectoplasme, s’y montre un réalité qui d’elle-même n’a jamais existé – hors celle des plans épars dont elle est l’assemblage – d’où la puissance inouïe, d’où son branlebas…) »

Bruno Dumont.

« A presque la fin du montage »

« Sortir le film du noir. Comme un vampire qui s’expose à la lumière.

Je n’ai jamais autant montré un film que celui-ci. J’invite, j’écoute, pour la première fois peut-être. Il y a ceux qui pensent savoir, petites autorités, et ceux qui regardent. Je prends des notes. J’écoute les gênes des gens. Rarement leurs solutions. Elles ne se trouvent que dans le travail et dans le hasard, à la table.

Je rêve d’un montage qui ne soit ni montage image, ni montage son. Simplement montage. Auquel viendrait se substituer uniquement le mixage. A chaque fois, je pense voir la fin, et puis quelque chose qui ne va pas apparaît. Un moment différent, une raison différente, mais toujours une ombre qui se déplace. Et le travail reprend. Et encore et toujours, depuis quelques semaines, éternellement la même phrase lorsque je rencontre quelqu’un :

– Alors, tu en es où ?
– A presque la fin du montage. »

Par Bertrand Bonello pour les cahiers du cinéma, au sujet de l’Apollonide.