Aujourd’hui avec les étudiants de l’Esec s’est posée la question du visionnage des différentes étapes de travail de montage.
A quoi ça sert de montrer un travail en cours ? Quand doit-on le faire ? Avec qui ? Et comment le faire pour que ce soit efficace et constructif ?
Le « visionnage » consiste à regarder la version du film en cours avec une ou plusieurs personnes avant la mise en forme définitive du film. Pour récolter des avis, des sensations, des impressions. On en fait en général plusieurs dans la dernière période de montage. Ils nous permettent d’affiner le propos, d’affirmer nos choix ou au contraire de corriger des problèmes pas encore soulevés.
Mais attention. Il ne s’agit pas de demander son avis à n’importe qui, n’importe comment.
Un avis s’analyse. Il se décrypte. Au regard de la position de la personne qui s’exprime vis à vis du film ou du réalisateur. Vis à vis des mots qui sont employés : il faut décoller du langage pour entendre ce qu’il y a derrière.
Bien que tous les retours soit intéressants, il ne faut jamais oublier de quelle place la personne s’exprime. Est-elle elle-même investit dans le film ? Connait-elle l’intrigue générale ? Quelle sa connaissance du sujet ? Son lien avec l’équipe ? Avec le cinéma ?
Quand une personne dit : « je n’ai pas compris » il est plus intéressant d’essayer de connaître précisément d’où lui vient cette sensation, plutôt que de lui demander ou d’écouter une proposition alternative de montage. Quel est l’origine du problème ?
Les retours que l’on nous fait sont comme une matière à traiter. Il faut la triturer, la discuter, la malaxer et aller beaucoup plus loin que ce qui se dit à la surface.
Les étudiants ont tendance à demander à leurs camarades des choses bien trop précises. « Penses-tu qu’on doivent raccourcir ce plan ? » Non. Ce n’est pas le spectateur qui monte. Il vaut mieux lui demander par exemple : « T’es-tu ennuyé ? ». « Est-ce que quelque chose t’a gêné ? » « Que penses-tu de la musique ? » « Comment perçois-tu ce personnage ? » « Les lieux te semblent-il clairs ? »
A partir des réponses collectées, parfois générales, parfois précises, toujours très subjectives, il faut analyser. Pourquoi la personne a senti ça alors que l’on souhaitait provoquer l’effet inverse ?
Partir des sensations pour comprendre où ça bloque. Savoir reconnaître où se trouve l’universalité du ressenti et où démarre la subjectivité qui ne concerne que la personne.
Est-ce que ce dit le spectateur-test résonne en moi ? Est-ce que moi aussi j’ai eu à un moment cette impression ? Est-ce que je la comprend ou est-ce que j’estime que mon désir de surpasser cette remarque est plus fort ?
Mais la chose la plus fabuleuse lorsqu’on visionne avec des gens, quelqu’ils soient, c’est la transformation de notre propre regard. Soudain, par ces yeux étrangers qui nous accompagnent, nous gagnons en recul. Nous voyons à travers l’autre. Nous sommes à nouveau dans une perception d’un temps vierge. D’un œil critique. Intransigeant. Extérieur.
Les visionnages sont des moments intenses, intimes, parfois bouleversants, surprenants, toujours instructifs.