J’ai récemment été interviewée par Nora Meziani, doctorante à Paris I et à l’ESCP, pour la préparation de son article sur l’intuition, l’analyse et la prise de décision dans la création des films.
Il est vrai qu’en montage, on ne cesse de basculer du ressenti, à l’analyse, à l’action. Un peu comme dans une trilogie émotion – pensée – geste, dans laquelle on navigue en permanence.
« Je teste, je regarde, je ressens, j’analyse, je corrige, j’imagine, je pressens, je fabrique d’après mon intuition, puis à nouveau je re-regarde, je re-ressens, j’analyse, je corrige ».
Je poursuis cette démarche sous la forme d’une spirale me rapprochant toujours plus près de mon objectif premier : fabriquer l’oeuvre finale la plus aboutie et la plus proche des intentions. Je fabrique un film.
Lors de notre entretien, je dis à Nora au détour d’une pensée sur comment s’effectuent les prises de décisions : « mais en fin de compte, il y a le réalisateur, le monteur, mais aussi le film. Et le film lui aussi décide. » Nora me réponds que beaucoup de gens lui ont parlé de ce phénomène du film qui se met à « décider ». Elle m’interroge, assez perplexe : « mais qu’est-ce que ça veut dire ? »
Je creuse la question.
Je prends l’exemple des rushes. Pour monter une séquence à partir d’un ensemble de rushes, on a notre intelligence à chacun(e) (réalisateur-trice et mon monteur-se), on a également nos ressentis – comment on perçoit le temps, le jeu, la plastique du plan – mais on a aussi les contraintes. Rushes incomplets, actions manquantes, choses pas jouées, pas filmées, pas montables. C’est là que le film commence à prendre part aux décisions. Par la matière qu’il nous impose.
Puis on commence l’assemblage. On va poser des jalons de structure. Au départ, on a toutes latitudes. Mais la forme, petit à petit, va elle aussi nous imposer des directions. C’est parce qu’on pose tel début, que ça appelle telle suite. La forme, que l’on initie, va petit à petit entamer un dialogue avec nous (réalisateur-trice et mon monteur-se), et voilà, nous sommes bien trois.
Quant à ce point de bascule, entre le ressenti et la prise de décision, j’ai l’habitude de dire que le montage ce n’est que des choix. C’est mon point de vue de monteuse. Une amie réalisatrice me dit souvent que le montage ce n’est que des deuils. Quelque part ça revient au même. Et tout ces choix sont justement effectués par la bascule entre la pensée et l’intuition.
L’action et/ou l’expérimentation permettant la validation, la mise de côté ou la transformation de l’intuition et de la pensée.