Le montage, technique et esthétique #11

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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Les lieux, les techniques et les moyens de diffusion des œuvres audio-visuelles ne se résument plus aujourd’hui simplement aux écrans de télévision ou de cinéma. On peut produire des films pour des espaces tout autres : diffusion dans des musées (installations vidéo), en arcade (réalité virtuelle), sur des plateaux de théâtre (vidéos performatives), dans des galeries (art vidéo), pour n’en citer que quelques-uns. Sur le Web et sur YouTube émergent aussi de nouveaux contenus (séries interactives, films à 360°). Les premières narrations avec un smartphone sont désormais disponibles quand les dernières innovations numériques se développent surtout dans des expériences de totale immersion sur des casques VR (réalité virtuelle).

Tous ces nouveaux modes de diffusion et ces nouvelles pratiques de plus en plus nombreuses sensibilisent le public à l’interactivité et poussent les créateurs et les créatrices à expérimenter les croisements de plusieurs disciplines artistiques : documentaires et jeux de rôles, fictions et journalismes, récits non linéaires et performances, etc.

Les spectateurs et les spectatrices deviennent des utilisateurs et des utilisatrices. Les projections se vivent désormais debout, avec la possibilité d’être en mouvement, dans la sphère intime ou dans des espaces dédiés. Comment toutes ces formes et ces nouveaux usages impactent-ils le travail du montage ?

11.1 Installations vidéo (musées, galeries, espaces scéniques)

Quand les écrans investissent l’espace d’une salle sans fauteuils ou d’une scène de théâtre, les contraintes du rapport à des corps en mouvement obligent à penser l’œuvre à une autre échelle. S’instaurent alors des rapports de dimensions, de durée et de continuité nécessairement autres.

11.1.1 Le multi-écrans : la double ou triple projection

Dans les musées, les œuvres filmées sont souvent diffusées en boucle dans des salles conçues pour un public non captif. On peut y rester le temps du film, mais également passer, revenir ou arriver en cours de projection.

De telles installations vidéo se déploient sur plusieurs écrans. C’est le cas par exemple du film Zidane, un portrait du 21siècle (2006) de Philippe Parreno et Douglas Gordon (illus. 56). Sur deux écrans géants sont restituées les 90 minutes du match RealMadrid-Vilarreal CF du 23 avril 2005. Ce sont 17 caméras qui ont filmé Zinedine Zidane durant tout le match. Le montage se dédouble pour mieux permettre l’exploration de plusieurs points de vue dans un seul film : celui de Zidane, celui des 17 caméras, celui des réalisateurs, celui de notre œil voyeur qui semble presque être sur le terrain aux côtés de la star.

Le montage, technique et esthétique #10

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« Avec une série télé, on a la possibilité de faire de la grande forme, du grand cinéma, mais avec de la nouveauté pure. »

Rebecca Zlotowski

Depuis quelques années, les séries ont le vent en poupe auprès du public et des diffuseurs. Sur le petit écran tout comme sur les plateformes de vidéo à la demande, des quatre coins de l’Europe ou des États-Unis nous parviennent des séries aux univers forts.

En France, de nombreux réalisateurs et réalisatrices de fiction, traditionnellement habituées du grand écran, se lancent dans cette nouvelle forme de récit. Pour n’en citer que quelques-un·es : Éric Rochant avec Mafiosa ou Le Bureau des légendes, Bruno Dumont avec P’tit Quinquin, Rebecca Zlotowski avec Les Sauvages, Cathy Verney avec Vernon Subutex. La série est devenue en France un espace majeur de création.

Monter une série, est-ce un exercice particulier ? Existe-t-il des spécificités propres à ce format ? Pour produire une saison d’une dizaine d’épisodes par an, les délais d’écriture, de tournage et de montage sont très serrés. Si certaines constantes dans l’esthétique se dégagent, dans le processus de montage c’est le travail en équipe qui s’impose.

10.1 Travailler à plusieurs
10.1.1 Plusieurs monteurs, plusieurs monteuses

À l’image des scénaristes qui travaillent en pool d’écriture, les monteurs et les monteuses œuvrent elles aussi à plusieurs sur les séries, contrairement à la fiction cinéma qui le nécessite rarement. Il n’est d’ailleurs pas rare de lire aux génériques des séries françaises le nom de deux, trois ou quatre monteurs et monteuses sur l’ensemble des épisodes d’une saison. Le partage du travail de montage se fait généralement un épisode sur deux, mais il peut aussi se répartir de manière séquentielle. L’un monte les trois premiers épisodes, l’autre les trois suivants.

Mais l’équipe montage ne s’arrête pas là. Un·e assistant·e au montage est présent·e. Son travail est complexe. Comme les épisodes sont parfois tournés de manière à regrouper certaines séquences contenues dans plusieurs épisodes sur un même lieu de tournage (on dit qu’ils sont « crossboardés »), l’assistant·e au montage commence par les trier afin de les répartir sur chacun des épisodes. Il ou elle travaille pour le compte de deux ou trois monteur·euses, chacun·e ayant ses propres habitudes, ce qui l’oblige à s’adapter à plusieurs méthodes de travail. Comme en long métrage, il ou elle s’occupe des plans à truquer, du prémontage et du montage son pour avancer quand les monteurs et les monteuses sont occupées à d’autres tâches.

10.1.2 Le scénario : un outil primordial

En série, le rapport au scénario est différent de celui en fiction cinéma. D’une part, en raison de la complexité scénaristique : la série est par définition un récit multicouches de plusieurs histoires et de plusieurs destins croisés. Des liens, des nœuds, des incidences s’opèrent non plus à l’échelle d’un long métrage mais de toute une saison qui s’étale sur une dizaine d’épisodes.

D’autre part, les contraintes de production ont tendance à limiter le temps de travail au tournage et au montage. Moins de temps de tournage produit une matière moins souple pour le montage (très souvent le tournage se fait à plusieurs caméras et les possibilités de découpage sont démultipliées et plus ardues) ; et moins de temps de montage induit moins de possibilités de réécrire, déplacer, faire évoluer. Il est d’autant plus important ici de s’en tenir à ce qui a été écrit et tourné pour le bon déroulement de l’histoire à l’échelle de la continuité de toute une saison.

Le montage, technique et esthétique #9

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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« Le documentariste doit être comme les peintres. Il doit créer quelque chose, par le regard, mais pas seulement. C’est quelque chose qui est en toi et qui vient de l’enfance. » Joris Ivens

Le cinéma est à la fois toujours fiction (ce que je filme devient une image, ce n’est plus « la réalité ») et documentaire (tout film documente au moins ses acteurs et ses actrices en train de jouer). Mais bien évidemment la vérité recherchée en documentaire n’est pas du même ordre que la vérité dramatique que l’on travaille en fiction ; elles ne se réfèrent pas au monde de la même façon et ne relèvent pas du même geste ni de la même intention.

Le cinéma documentaire offre une grande variété de types de films : du documentaire informatif à l’essai philosophique, de l’enquête d’investigation à la balade contemplative, du film scientifique pointu au film ethnologique en immersion, du sujet réalisé à chaud sur une actualité au film au long cours qui met cinq ans à se tourner, etc. Cette diversité est telle qu’il est possible d’englober ces variations sous le terme de films de non-fiction (« non fiction film » comme disent les anglophones).

Dans le documentaire de création (dont il est exclusivement question dans ce chapitre), aussi appelé documentaire d’auteur ou d’autrice (film caractérisé par la maturation du sujet traité, la réflexion approfondie et la forte empreinte de la personnalité de la réalisation), celui ou celle qui réalise nous montre sa vision du monde.

Contrairement aux idées reçues, un film documentaire s’écrit avant le tournage, mais sans adopter la forme d’un scénario comme c’est le cas en fiction. C’est souvent à partir d’une phase de repérages – un temps consacré à l’observation et à la prise de contact où l’on peut parfois même commencer à filmer pour documenter son sujet – que l’auteur ou l’autrice se met à écrire. En documentaire, on écrit des intentions et des scènes possibles et imaginées d’après nos observations. On présente les personnes qui seront filmées (les futurs personnages du film) et une chronologie du récit. Les repérages permettent aussi aux documentaristes de développer leurs points de vue et leurs choix de mise en scène, qui seront confirmés (ou non) sur le tournage. Le documentaire est souvent « expérimentiel » : il part de l’expérience, et se fonde sur la rencontre entre celui ou celle qui filme et ceux ou celles qui acceptent d’être filmées.

En documentaire, l’étape du montage est alors particulièrement importante : c’est là que s’affirment les choix d’écriture du récit, que se prolonge la question du rapport aux personnes filmées, que continue de s’élaborer la place du regard singulier de l’auteur ou de l’autrice. En montage, la question qui se pose alors est souvent celle de l’éthique et de la vérité. Jusqu’où, par mon geste de montage, puis-je modifier la réalité sans tromper le spectateur ou la spectatrice ?

Autre spécificité du documentaire : le temps. Les temps de tournage et de montage sont en général plus longs qu’en fiction. Ils se découpent aussi différemment, supportant les pauses entre deux recherches de financement ou deux phases de tournage.

Toutes ces spécificités font que le montage d’un film documentaire s’aborde différemment de celui d’une fiction. Le rôle des monteurs et des monteuses s’en trouve lui aussi modifié.

9.1 Une avalanche de rushes

En documentaire il n’est pas rare que les rushes dépassent la centaine d’heures. Rappelons qu’un tournage peut régulièrement s’étaler sur plusieurs années et comporter des essais et plusieurs pistes d’écriture possibles sur lesquelles la réalisation n’a pas encore effectué tous ses choix.

Le corpus des rushes est donc formé d’une partie « repérages » et d’une partie « tournage ». Mais la frontière est de plus en plus mince

entre les deux, et des repérages peuvent devenir du tournage lorsqu’ils sont utilisés au montage. Quelques exemples de films documentaires montrent qu’un film peut même entièrement se bâtir sur des repérages. C’est le cas de Fifi hurle de joie (2013) de Mitra Farahani qui, à la suite d’un accident advenu sur le tournage, réalise son film à partir de ses repérages.

Le travail du documentariste est un travail de longue haleine. Jouant souvent les prolongations, les cinéastes tournent sur plusieurs années et accumulent une matière qui s’épaissit de plus en plus. C’est pourquoi, à la veille du premier jour de montage, l’une des premières questions que se pose la réalisation, avec une certaine appréhension, est : comment procède-t-on ? Est-ce qu’on regarde tout ?

Devant ce qui pourrait s’apparenter à une avalanche d’images, certains réalisateurs ou certaines réalisatrices sont tentées de proposer au monteur ou à la monteuse une sélection de rushes. En général, les monteurs et les monteuses n’aiment pas trop cela. Pour monter un film documentaire, il faut tout voir. Mais comment s’y prendre quand la matière nous astreint à passer trois ou quatre semaines à « seulement » regarder ?

Le montage est un art

Le montage est un art.

Le montage est un art de l’écriture.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical, le montage est de l’écriture qui danse, de l’image qui chante et du son qui structure.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical, le montage est de l’écriture qui danse, de l’image qui chante et du son qui structure, le montage est un paysage.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical, le montage est de l’écriture qui danse, de l’image qui chante et du son qui structure, le montage est un paysage, recomposé.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical, le montage est de l’écriture qui danse, de l’image qui chante et du son qui structure, le montage est un paysage, recomposé, un ballet.

Le montage est un art de l’écriture mais pas seulement, il emprunte aussi aux arts plastiques, matière image, matière son, composition – le montage a quelque chose de musical, le montage est de l’écriture qui danse, de l’image qui chante et du son qui structure, le montage est un paysage, recomposé, un ballet, une re-mise en scène du monde.

Le montage, technique et esthétique #8

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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« Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle. » François Truffaut

Quand on parle de fiction au cinéma ou à la télévision, c’est qu’il s’agit d’une histoire fondée sur des faits imaginaires. La « fiction », qu’elle prenne la forme d’un téléfilm ou d’un long métrage pour le cinéma, commence par le travail du scénario. Les scénaristes peuvent nourrir leur imaginaire par un travail d’enquête sur un fait historique, comme dans le film Des hommes et des dieux (2010) de Xavier Beauvois, ou par une période de documentation sur un milieu particulier, par exemple pour Le Prophète (2009) de Jacques Audiard qui se passe en milieu carcéral.

Autre spécificité de la fiction, elle est tournée avec des acteurs et des actrices qui jouent un rôle, parfois leur propre rôle, comme dans le film Ma femme est une actrice (2001) où Charlotte Gainsbourg incarne une comédienne célèbre face à la jalousie de son mari réalisateur Yvan Attal (également réalisateur de ce film). Une autre manière de faire flirter les écritures entre réalité et fiction.

Monter une fiction, pour le grand comme pour le petit écran, sous la forme d’un long métrage ou d’un court métrage, signifie pour le monteur ou la monteuse s’appuyer sur l’existence d’un scénario et travailler sur le jeu d’acteur.


8.1 Rapport au scénario : choix, lecture, travail en amont

Toute collaboration entre la réalisation et le montage démarre par la lecture d’un scénario. Il peut s’agir de la dernière version – celle qui va être tournée – mais aussi, et même le plus souvent, d’une version antérieure. Selon l’ancienneté de la collaboration, le monteur ou la monteuse est invitée à faire part de ses retours et de ses critiques pendant la phase d’écriture. Le monteur ou la monteuse expérimentée a un regard particulier en raison de sa pratique sur de nombreux films. Elles et ils maîtrisent l’art des ellipses, du rythme, de l’évolution des personnages, et tous ces éléments sont présents et analysables lors de la lecture d’un scénario.

Lire le scénario d’un réalisateur ou d’une réalisatrice dont il s’agit d’un premier film ou d’une première collaboration nécessite certainement une discussion plus longue afin de pouvoir échanger sur les options de mise en scène (découpage, casting, etc.).

Lorsque démarre le montage du film, selon le type de film et la présence ou non du réalisateur ou de la réalisatrice en salle de montage, les monteurs et les monteuses ont deux attitudes face au scénario. Certain·nes le posent sur le coin de la table et ne l’ouvrent jamais : ils considèrent les images et les sons disponibles comme la matière du film à venir et la mémoire qu’ils ont du scénario leur suffit pour travailler. D’autres s’y réfèrent régulièrement pour mesurer un écart entre la version écrite et la version tournée d’une séquence ou pour essayer, du moins dans un premier temps, de respecter le plus possible ce qui a été écrit.

Le scénario pendant le montage est tantôt une aide tantôt un piège. Car s’il s’agit de le respecter dans une première version, il s’agit aussi d’arriver à l’oublier dans les versions suivantes. Nous y reviendrons un peu plus tard lorsque nous parlerons de la v.1 (version une) du film.

8.2 Monter pendant que ça tourne ?

En fiction, la production, la réalisation et le montage décident ensemble de commencer le montage pendant que « ça tourne », ou après le tournage. Monter pendant le tournage signifie que le montage du film démarre avec un court décalage de quelques jours après le premier jour du tournage. Concrètement, une fois tournés les premiers rushes sont envoyés au laboratoire. Le « labo » va effectuer (souvent durant la nuit) une série d’opérations techniques qui permettent au montage une utilisation quasi immédiate des rushes.

Le montage, technique et esthétique #7

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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« Je ne veux pas montrer, mais donner l’envie de voir. » Agnès Varda

7.1.1 Le champ-contrechamp

Maîtriser les figures de style du montage est-il un préalable à toute écriture cinématographique ? Quelle est la typologie des raccords ? Comment utiliser les effets ?

Les grands principes « formels » d’écriture au montage sont le découpage en champ-contrechamp, l’ellipse, le montage parallèle, pour n’en citer que quelques-uns. Nous détaillons ici les formes à l’aide d’exemples illustrés avant d’aborder la variété des raccords et la question des effets.

7.1 Les figures de style

S’amuser avec les images, les faire résonner comme des rimes, les couper pour en faire des refrains, les répéter comme des allitérations, jouer de l’ironie, de l’antithèse et de l’allégorie. Le montage a sa propre stylistique. Connaître et maîtriser les formes et les conventions de l’écriture cinématographique au montage permet ensuite de les appliquer ou de s’en affranchir. En voici quelques-unes, présentées comme des sources d’inspiration.

Le champ-contrechamp est utilisé la plupart du temps pour filmer une conversation entre deux personnages (illus. 18). On filme le dialogue en entier et en un plan sur le personnage A (ce sera le champ), puis on répète la même action pour le personnage B (ce sera le contrechamp). Au cours du montage, on alterne les deux plans pour créer le sentiment d’un dialogue en continu.

Le champ-contrechamp est une figure qui se prévoit avant le tournage. Dans le cas où il se tourne à une seule caméra, le champ-contre- champ se découpe et se filme de façon morcelée avant de se trouver réunifié par montage.

Dans un champ-contrechamp classique, le monteur ou la monteuse se retrouve fréquemment face à de nombreuses prises et tout autant de choix pour faire son montage. Quand l’acteur parle et que le spectateur ou la spectatrice le voit parler à l’image, il est d’usage de dire que son dialogue est in. Si le spectateur ou la spectatrice l’entend parler et qu’elle ne le voit pas à l’image, son dialogue est off. Faut-il montrer la personne qui parle ou celle qui écoute ? À quel moment ? Ces choix déterminent en grande partie le travail du monteur ou de la monteuse.

Avant d’attaquer le montage d’un champ-contrechamp il est inté- ressant de se poser des questions sur les personnages, leur état psycho- logique à ce moment de l’histoire par exemple, mais aussi et principalement sur leur relation : qui est le personnage central à cet instant ? Un personnage domine-t-il l’autre ? Les rapports de force s’inversent-ils pendant la scène ? Ce sont ces réflexions qui permettent de savoir s’il est préférable de montrer tel personnage ou tel autre lors d’une discussion. La question du in et du off est celle qui motive chaque plan dans un champ-contrechamp.

Chaque monteur possède sa propre méthode. Mais on peut en définir deux :

La méthode « comparaison des prises » consiste à prendre la scène par le début et à sélectionner les meilleures prises pour la première réplique du personnage A. On en fait un bout à bout dans la timeline. Puis on sélectionne les meilleures prises de la réplique du personnage B et on les colle derrière les prises choisies pour le personnage A. On peut ainsi se retrouver avec trois fois la même réplique pour le A et deux fois pour le B. Cette technique met en évidence ce que proposent les interprètes ainsi que les nombreuses possibilités qui s’offrent sur chaque partie d’un plan et d’une scène.

La méthode « pas à pas » consiste à choisir la première réplique et à s’interroger à chaque possibilité de raccord sur la nécessité de changer de plan. Ai-je envie de voir la réaction de l’autre personnage ? Dois-je rester sur ce regard insistant ?

Le montage, technique et esthétique #6

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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« Le sonore, c’est la chair des images. » Daniel Deshays

Dois-je monter l’image avant le son ? Le son avant l’image ? Comment être attentif ou attentive à l’image autant qu’au son ? Parfois le montage cherche à unifier l’image et le son, parfois il cherche à les rendre complémentaires, d’autre fois encore, il travaille à leur réso- nance. Explorons les multiples mariages ou désunions entre image et son, avant de nous intéresser plus spécifiquement à la bande sonore originale d’un film.

6.1 Synchronisation et désynchronisation

Robert Bresson dans Notes sur le cinématographe (1975) nous dit qu’« images et sons sont comme des gens qui font connaissance en route et ne peuvent plus se séparer ». D’ailleurs sur le tournage, images et sons sont enregistrés sur un même support et, s’ils ne le sont pas, l’une des premières choses que l’on fait est de les synchro- niser.

La synchronisation image et son est le principe premier, et l’acte de désynchroniser est déjà un acte de montage.

Si les monteurs et les monteuses montent à égalité de force le son et l’image, ils ont pour habitude de les penser comme deux entités possiblement séparables. Au dérushage par exemple, il est fréquent d’imaginer que tel son pourra être utilisé seul, ici ou là, ou que telle image pourra être montée sans son synchrone pour gagner en expression.

6.2 De la nature différente du son et de l’image

À l’inverse du montage des images qui n’est constitué que de coupes et qui n’utilise que très rarement la superposition, les sons s’entre- mêlent, se mélangent et se superposent. C’est d’ailleurs pourquoi une timeline de montage comporte rarement plus de trois pistes vidéo quand elle contient plus d’une dizaine de pistes audio.

Le monteur ou la monteuse joue en permanence du chevauchement des pistes son pour affiner ses raccords. Le son se structure par ses empilements et les nuances qu’on lui attribue. Il est texture et matière vibrante. Encore plus que l’image peut-être, il se sculpte, dans un assemblage vertical, c’est-à-dire dans la superposition.

Le montage, technique et esthétique #5

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Comment révéler au mieux les émotions ? Comment les faire naître ? Qu’est-ce que le rythme ? Est-il différent du tempo ? Contrairement à la peinture qui investit le champ de la représentation par les couleurs, à la musique qui reste l’art de s’exprimer par les sons, un film c’est autant de questions esthétiques visuelles que sonores. C’est aussi l’art du collage et de la juxtaposition de puissants outils de création. Nous allons nous intéresser dans ce chapitre à la question du rythme. Qu’il batte dans le temps du film, dans la rythmique des plans ou dans la respiration dirigée des interprètes, le rythme est partout.

5.1 Sculpter le temps

Glauber Rocha nous dit : « La caméra se doit d’être travaillée comme un instrument de musique, le montage, comme la batterie. » Et si le cinéma c’était de la musique pour les yeux ? Sculpter le temps en montage est au cœur du travail. Les choix qu’effectuent quotidien- nement les monteurs et les monteuses sur la durée des plans ont un impact direct sur la perception du public. Le montage impose le rythme pour donner un sens à la lecture de la séquence.

5.1.1 Rythme et narration

Faut-il d’abord travailler la narration, poser la structure du film, puis affiner les durées et travailler le rythme ? Ou alors, faut-il, ens’appuyant sur le rythme interne de chaque plan, de chaque phrase, de chaque séquence, trouver la structure et affiner l’histoire ? Certai- nement un peu les deux : le montage est un mouvement continu de va-et-vient entre le rythme et le sens.

Certaines séquences de fiction peuvent être montées en commençant par le montage son. Cela aide à trouver le rythme dans le phrasé avant de le trouver dans les images. Dans cette séquence du film Marie-Antoi- nette de Sofia Coppola (2006), une longue conversation montée le plus souvent en off se déroule entre des invités rassemblés autour d’une table (illus. 9). Le sens de la conversation importe peu puisque le sujet central de la séquence est les échanges de regards entre Marie-Antoinette et le comte Fersen. Le montage est donc rythmé à la fois par le son qui incarne le groupe, le présent, la quotidienneté, et par l’image qui met en valeur la distance amoureuse, la complicité, la dilatation du temps.

Il n’est pas inhabituel de commencer par monter le récit dans la continuité sonore en imposant un premier rythme, avant d’aborder un second type de montage qui vient en quelque sorte se greffer sur cette continuité pour l’agrémenter d’une couche supplémentaire d’intentions.

Le rythme d’une séquence se trouve au fur et à mesure des versions. Il s’ajuste jusqu’à sembler métronomique.

Le montage, technique et esthétique #4

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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« Les plans sont comme des pierres. Si on fait un mur, il faut chercher et trouver la place juste des pierres pour qu’il ne tombe pas. Il y a une façon et une seule pour faire tenir ce mur. » Danièle Huillet

Avant de parvenir à la version définitive du film, le processus du montage suit des étapes identifiables : synchronisation des rushes, dérushage, fabrication de la v.1 (version une), visionnages, etc. Analyser ces étapes sensibilise à la compréhension de ce long processus de création.

Mais nous pouvons également aller plus loin en explorant la méthodologie de travail du montage. Comment aborder une séquence ? Par quoi commencer quand on regarde des rushes ? Pourquoi faire plusieurs versions ? Autant de questions pratiques qui résonnent sur le plan artistique.

Tout au long du montage se dessine également la relation privilégiée avec la réalisation et le reste de l’équipe : l’assistanat, la réalisation, la production et la postproduction. Nous en découvrirons les principaux aspects et les enjeux qui font du montage un art de la collaboration.

4. LES ÉTAPES DU MONTAGE

4.1 La synchronisation des rushes

Le premier travail dans la salle de montage est souvent la synchronisation des rushes. Quand le son et l’image sont enregistrés sur des supports de stockage différents, c’est au montage qu’on les assemble, et ce, avant de commencer à monter. Synchroniser consiste donc à rétablir le synchronisme du son avec l’image (et vice versa). Cette opération technique, aujourd’hui facilitée par les logiciels de montage, suit celle de l’import des rushes dans le logiciel. Selon le type de film et son budget, un·e assistant·e sera en charge de cette tâche sous la responsabilité du monteur ou de la monteuse.

Avant de commencer à travailler, l’équipe montage met en place un protocole d’import (réglages techniques, méthodes de stockage et de sauvegarde) et un protocole d’organisation des rushes dans la machine. Comme chaque monteur ou chaque monteuse a ses propres habitudes, c’est l’assistant·e qui effectue un premier classement des différents plans selon ses besoins.

Classer, trier, organiser, connaître et maîtriser la matière première du film (les rushes) est la première étape du montage. Y consacrer suffisamment de temps, c’est poser des fondations pour construire ensuite un solide édifice.

4.2 Le dérushage

La seconde chose à faire en salle de montage est de regarder et d’écouter. La coutume veut que l’on dérushe – c’est-à-dire que l’on regarde, que l’on classe et que l’on choisisse – tous les plans tournés. Or depuis l’arrivée du numérique, la quantité moyenne de rushes a considérablement augmenté. Le nombre de prises et les axes se multiplient, il n’est plus rare d’avoir plusieurs caméras pour le tournage d’une seule séquence. Alors…

4.2.1 Pourquoi tout voir ?

Il est important de regarder tout ce qui a été filmé. D’une part, pour bien comprendre les intentions de la réalisation, d’autre part, pour ne pas risquer de mettre de côté des rushes qui pourraient être utiles, plus tard, dans le processus de montage. Laisser de côté des éléments serait comme trahir la réalisation dans ses essais, ses esquisses, ses ratures, et ses réussites.

La prise idéale existe rarement. Pour monter une séquence, nous allons devoir composer à partir de plusieurs prises et choisir dans chacune d’elles ce qui nous semble le plus juste. C’est seulement en prenant le temps de regarder toutes les prises et tous les plans que l’on peut esquisser sereinement un premier plan de montage. Il s’agit d’un début de mise en place du montage puisque l’on ne cessera ensuite de l’affiner en revenant régulièrement aux rushes. Ces allers-retours entre montage et rushes seront d’autant plus facilités que le tri et le classement auront été bien faits. Le dérushage n’est pas une étape préliminaire, c’est déjà du montage.

Ce (long) temps consacré aux rushes est également l’occasion de comprendre les personnages, d’analyser les situations, de rechercher ce qui est cohérent dans le jeu et l’action, et d’évaluer ce qui ne l’est pas.