Le montage, technique et esthétique #2

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

https://www.armand-colin.com/le-montage-technique-et-esthetique-fiction-documentaire-serie-nouvelles-ecritures-9782200627218

2. LES ÉTAPES AVANT ET APRÈS LA SALLE DE MONTAGE

« Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. » Jean-Luc Godard

Où commence le montage ? À la première rencontre avec la réalisation ? À la première lecture d’un scénario ? Au premier jour de tournage ? Quand se termine-t-il ? Une fois rendues les clés de la salle ? Une fois le film mixé ? À la première projection ?

Il s’agit dans ce chapitre de contextualiser l’étape du montage dans l’ensemble du processus de création d’un film, mais sans entrer dans le détail du travail qui se fera en salle de montage. Car le montage ce ne sont pas seulement les 5, 12 ou 22 semaines que l’on passe devant sa machine, cela commence bien avant le tournage et se termine la plupart du temps à la projection devant public du film.

2.1 Avant le tournage
2.1.1 La rencontre entre la réalisation et le montage

Le montage d’un film démarre par une rencontre. La rencontre du réalisateur ou de la réalisatrice avec le monteur ou la monteuse. La plupart du temps cette rencontre se fait par l’intermédiaire du réseau de l’un ou de l’autre, ou à l’initiative de la production.

Les premiers échanges naissent autour du scénario : il s’agit d’une prise de contact pour voir si le désir de collaboration autour du projet est réciproque. Ensuite, réalisation et montage se rencontrent pour parler du film, du parcours de chacun·e, des questions artistiques. Ce premier rendez-vous est également l’occasion d’un échange plus général sur la vie, le monde, les engagements et les goûts cinématographiques et esthétiques de chacun·e.

Il arrive de plus en plus fréquemment que la réalisation rencontre plusieurs monteurs et monteuses, on parle de casting. Il arrive aussi que la production suggère ou impose son choix, en particulier dans le cas d’un premier film. La plupart du temps, le choix du monteur ou de la monteuse s’effectue dans un dialogue entre la production et la réalisation. Pour un réalisateur ou une réalisatrice, le choix se fait souvent autour de la qualité relationnelle et de la complémentarité artistique. Sont également pris en compte l’apport que le monteur ou la monteuse est en mesure de proposer au regard de son expérience et de sa cinéphilie.

La production, elle, cherche souvent à savoir si le montage a « les épaules ». Car les monteurs et les monteuses portent la responsabilité de la dernière écriture du film, ils doivent pouvoir travailler dans un temps limité avec parfois une nouvelle orientation à donner au récit. La production se soucie également des qualités relatives à la psychologie du monteur ou de la monteuse. Pouvoir accompagner un·e artiste dans sa création nécessite une excellente capacité à dialoguer.

Tous s’accorderont à dire que trouver la collaboration idéale est un enjeu, car lorsque « le mariage » entre la réalisation et le montage est réussi, naît un tandem qui peut fonctionner tout au long de la carrière de l’un et de l’autre. C’est la collaboration au long cours. En revanche, lorsque l’alliance ne fonctionne pas, ou mal, il arrive que l’on change d’équipe en cours de route, mais cela reste rare.

2.1.2 Monter son équipe : l’assistant·e au montage

C’est le monteur ou la monteuse qui choisit, ou non, de travailler avec un assistant ou une assistante. Il arrive parfois que le budget du film ne permette pas de prendre un·e assitant·e. Mais alors, le travail du montage est alourdi de tout ce qui revient à l’assistant·e. Ce travail cumulé représente un temps considérable et une énergie que l’on pourrait presque considérer comme « volée » à la création et au montage. L’assistant·e accompagne le montage, rend le travail plus fluide entre les équipes et connaît l’ensemble du processus de production.

2.1.3 Le travail de l’assistant·e au montage

L’assistant·e est chargé·e, sous la supervision du monteur ou de la monteuse, de la préparation technique du projet : vérification du travail effectué par le laboratoire (voir chap. 8, § 8.2), process technique de travail, synchronisation des rushes. Il gère également la communication avec les différentes équipes (tournage et après tournage) : appels téléphoniques, mails, réunions techniques, gestion logistique des coursiers, des navettes, des téléchargements, des uploads vimeo, des projections, etc.

L’assistant·e peut être amené·e à prémonter des séquences, à caler des musiques, à préparer le montage son, à maquetter et à gérer les plans à truquer. Selon les films et en fonction de leur budget ou de la durée du montage, l’assistant·e est présent·e sur toute la durée du travail ou sur des temps plus courts (au début du montage et à la fin). Une faible présence de l’assistant·e, ou une présence en décalé des périodes de travail du monteur ou de la monteuse, peut entraver la transmission si précieuse de l’art du montage.

L’assistanat au montage est devenu un métier à part entière et n’ouvre plus forcément la voie pour devenir monteur ou monteuse. L’assistant·e est un·e super-secrétaire, pointu·e techniquement, sensible aux problématiques narratives cinématographiques, ayant une excellente connaissance de tous les métiers, du tournage aux finitions, et des capacités d’organisation, de synthèse et de communication. Il est aussi la mémoire du film tout au long du projet.

Le montage, technique et esthétique #1

Chaque semaine, un extrait du livre Le montage, technique et esthétique.

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AVANT-PROPOS

« Je préférerais que l’on sente un film avant de le comprendre, les sens interviennent avant l’intelligence. »

Robert Bresson

L’art du montage est en perpétuelle évolution. Les monteurs et les monteuses contribuent film après film à inventer de nouvelles formes et de nouvelles manières de travailler. Le métier bouge, et nous sommes tous acteurs et actrices de ce mouvement. Comment présenter aujourd’hui, en termes simples, l’essentiel des techniques et de l’esthétique du montage tel qu’il se pratique ?

Monteuse depuis plus d’une quinzaine d’années, j’ai exploré aux côtés de nombreux réalisateurs et de nombreuses réalisatrices les différentes facettes du montage. Je n’ai cessé de m’interroger sur ma pratique et de questionner celle des autres.

Si bien des livres ont été écrits sur le montage, peu d’auteurs·rices ont tenté de mêler, dans un souci de transmission, la pratique à la méthodologie et le savoir-faire à la réflexion esthétique. C’est ce que je propose dans cet ouvrage.

La première partie de ce livre, sous la forme d’une introduction au montage, explore les liens concrets qui unissent scénario, tournage et montage pour en faire trois étapes indissociables d’une seule et même écriture : celle du film. Toujours par le prisme des liens et des inte- ractions, j’y présente ensuite le travail du montage dans l’ensemble du processus de la création d’un film, l’occasion de découvrir les nombreuses collaborations très étroites, en amont et en aval, avec d’autres partenaires de création et d’en comprendre les principaux objectifs.

Qu’est-ce que le montage ? Comment se pratique-t-il ? De la séquence au raccord, en passant par l’organisation des rushes, je propose, dans la deuxième partie du livre, de «dé-monter» le montage afin de mieux appréhender les différentes étapes qui constituent son processus.

Dans une troisième partie, c’est l’art du montage que j’expose : le rythme à travers les enjeux de narration qu’il représente ; les liaisons tout comme les désunions entre image et son ; ou encore les figures de style à travers de nombreux exemples illustrés.

Enfin, dans une quatrième partie, j’aborde une analyse des spécificités du travail du montage dans les différents domaines de la création audiovisuelle : la fiction, le documentaire, les séries et les nouvelles écritures.

À travers l’analyse et la description de toutes les dimensions du travail du montage, cet ouvrage s’adresse à toutes celles et ceux qui souhaitent découvrir le montage, non simplement comme une esthétique analysée « après coup » (analyse d’un film), mais aussi comme une activité professionnelle créative, avec des méthodes de travail, des processus, des traditions et des moyens. Ce livre s’adresse plus largement à toute personne qui souhaite se former à l’un des métiers du cinéma, car il me semble important de comprendre que le processus entier du montage permet d’ouvrir des portes sur la réali- sation : l’écriture, le tournage ou encore l’après-tournage dans son ensemble. Le montage est au cœur d’un travail collectif, il s’articule dans l’ensemble de la fabrication d’un film.

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1.LE MONTAGE :
LA TROISIÈME ÉCRITURE DU FILM

« Le montage précède le tournage. » Dziga Vertov

Au tout début, le film est un désir. Une envie. Une idée. Un quelque chose dans la tête d’un réalisateur ou d’une réalisatrice. Puis vient le temps durant lequel ces idées se développent, se construisent : c’est l’étape de l’écriture. C’est un moment intense de création pendant lequel s’élabore une grande partie de la dramaturgie, des personnages, des dialogues (ou du choix des lieux en documentaire) et du récit. Ce travail peut durer une à plusieurs années.

Une fois le scénario validé et financé, le temps s’accélère. Viennent les étapes beaucoup plus concrètes de la mise en scène et du tournage. Il s’agit de véritables épreuves pour le film et pour la réalisa- tion. Confrontés aux décors, aux comédiens, aux comédiennes, aux imprévus et aux contraintes de temps, le récit et les personnages vont s’incarner mais aussi évoluer.

Il faut donc toujours avoir en tête que lorsqu’un film arrive en salle de montage, il est le résultat d’une première écriture (le scénario) mise à l’épreuve du réel (le tournage). Ce sont ces deux étapes (scénario + tournage) qui font naître la matière première du montage : une somme d’images morcelées et livrées dans le désordre, ouvrant la voie à de nouvelles formes de jeux et de récits possibles.

La salle de montage devient alors ce sanctuaire dans lequel s’élabore un autre film, ni tout à fait le même, ni fondamentalement différent de celui qui fut d’abord écrit puis mis en scène. Elle est le lieu des derniers arbitrages, de la résolution des ultimes questions… Le lieu de la troisième et dernière écriture du film. Un travail complexe qui implique et suit certaines étapes.

1.1 Écrire avec des images et des sons

Le monteur ou la monteuse façonne une nouvelle version de l’histoire pensée par le réalisateur ou la réalisatrice, non avec son clavier et des mots (le travail d’écriture), non en dirigeant des comédiens et en choisissant des axes de caméra (le travail de la mise en scène), mais en sélectionnant et en assemblant des images et des sons, fruit du travail de toute une équipe.