Peut-on, doit-on cliper des séquences dans un film documentaire ?
Comment le faire de manière intéressante ?
Voici les questions que je me pose après avoir été gênée à deux reprises, en tant que spectatrice, dans deux films documentaires différents par des séquences « clipées ». Autant le clip m’intéresse quand il est porteur de sensations, de plaisirs visuels, autant là j’ai trouvé la forme plutôt inappropriée.
Les séquences en question étaient fabriquées ainsi : une musique, disparition des sons synchrones et des ambiances, des plans mis les uns après les autres comme un catalogue de plusieurs actions. Sans véritable rythme. Juste une succession, ni rapide ni lente, en musique.
Ces séquences je les attendais avec impatience dans le film. On avait attisée ma curiosité, j’avais très envie de les voir, de comprendre, et d’entendre ce qui s’y passerait. Concrètement. Précisément. C’est pourquoi cette forme de « clip » m’a paru très frustrante. Il ne restait plus qu’une vague description là où je voulais voir et entendre tellement plus : des corps, des paroles, des gestes, des expressions, des interactions.
Quelques jours plus tard je tombe sur ce texte de Walter Murch :
« Un monteur super-actif, qui changerait de plan trop souvent, serait comme un guide touristique qui ne pourrait s’empêcher de tout montrer : « en haut la chapelle Sixtine et, par là-bas, vous avez La Joconde, et, à propos, regardez ces pavés au sol… ». En voyage touristique, on veut évidement que le guide oriente notre attention. Seulement, il arrive aussi que l’on souhaite simplement flâner et laisser son regard errer librement. Si le guide – ici le monteur – ne fait pas confiance au gens et à leur faculté de choisir où porter leur regard, s’il ne laisse aucune place à leur imagination, alors il poursuit un but – la maîtrise totale – qui va à l’encontre de l’effet recherché. Les gens finiront par se sentir oppressés, par le poids constant de cette main sur leur nuque. »
Ici le soucis c’était plutôt la déperdition du sens. Tout était amoindris alors qu’il y avait un véritable potentiel pour construire une séquence complexe. Je remarque alors que les deux films en question ont été montés par leur réalisatrice, sans monteur.
Moi j’aime que chaque séquence s’articule sur plusieurs axes. Je travaille souvent plusieurs niveaux de lecture : du sens, de l’émotion, le son qui raconte quelque chose, l’image ou la musique qui prend le relais, des connexions, des rappels entre les séquences. Je suis aussi très contemplative et en tant que spectatrice, j’ai envie de me sentir libre, d’avoir de la place dans le film. C’est pourquoi je fabrique de l’espace – un espace dans lequel on est toujours en tension, en émotion.
Quant à l’utilisation de la musique dans les documentaires, je trouve intéressant qu’elle se fasse relai d’un discours, qu’elle prenne véritablement la parole, une parole émotionnelle, qui prolongerai quelque chose de déjà amorcé. Elle me semble plus être un accompagnement à la contemplation qu’un outil de montage. Je cherche toujours des les rushes, une manière de l’intégrer naturellement, c’est à dire avec un ancrage dans le réel.